Très tôt, le talent de Gen Paul fut reconnu. Henri Bing, célèbre marchand de tableaux sur la place de Paris lui consacre une exposition en 1928 le plaçant, dans son texte de présentation de l’exposition, au même niveau que ses contemporains Picasso, Rouault, Soutine. Et c’était bien vu, car Gen Paul est l’un des plus grands peintres expressionnistes français.
L’expressionnisme est bien plus qu’un courant de peinture, il est un mode de pensée, toute une époque, l’incarnation du début du XXème siècle. C’est le rejet des conventions, du déjà vu, c’est pousser plus loin la peinture comme mode d’expression. On ne veut plus représenter une chose telle qu’elle est mais telle qu’on la ressent, la peinture se fait incisive, la représentation déformée. Ce qui a fait la renommée de Soutine n’est-elle pas cette oreille gauche volontairement démesurée de son pâtissier? De même, dans la peinture de Gen Paul, les mains de ses personnages sont disproportionnées, gigantesques, allongées, et c’est ce qui fait leur beauté.
L’expressionnisme est marqué par une période sombre, celle de la montée de la première guerre mondiale et la guerre en elle-même. Pour autant, les peintres expressionnistes l’ont très peu représentée, seul Otto Dix l’a vraiment fait. Gen Paul n’a lui même fait que quelques estampes de soldats de la première guerre mondiale alors qu’il avait vécu l’horreur de la guerre lors de laquelle, doit-on le rappeler, il avait dû être amputé de la jambe droite.
Bien que peu représentée, la première guerre mondiale, chez Gen Paul comme chez nombre de peintres expressionnistes de manière générale, eut un impact sur sa peinture et sa manière de peindre. Gen Paul ne se serait probablement pas consacré pleinement à la peinture s’il n’était pas ressorti invalide de la grande guerre et sa peinture n’aurait peut-être pas été si pleine de vie s’il n’avait pas failli perdre la sienne.
Il a développé un expressionnisme du mouvement fondé sur la recherche constante et l’émotion. Très productif, il maîtrisait toutes les techniques picturales et s’est donné à corps perdu à la peinture jusqu’à quasiment en mourir en 1930.
Gen Paul est très au fait de son temps, parlant de tous les sujets dans les fameuses « messes à Gen Paul », les derniers cancans de la Butte aussi bien que la politique, le sport, la vie artistique et littéraire. Il a connu et a été entouré, dès sa jeunesse, de nombre de grands peintres et écrivains qui lui ont été contemporains. Tout ceci l’imprègne et ressort sur son œuvre alors qu’il est en même temps et paradoxalement solitaire dans sa création.
Libre, il peint de façon intuitive, dégage ses angoisses sur la toile, développe son propre style gestuel, crée des procédés picturaux, invente sa propre calligraphie. Précurseur, sa peinture n’est pas sans laisser penser à celle de Willem de Kooning, qui sera l’initiateur de l’expressionnisme abstrait, et à l’action painting, dans sa spontanéité et sa philosophie de l’existence.
Gen Paul s’inscrit pleinement dans l’histoire de la peinture française. Il n’a jamais philosophé sur sa peinture, n’a jamais cherché à appartenir à un mouvement ni même fréquenté les autres peintres expressionnistes, mais il était un homme de son temps et a su le capter pour en faire ressortir une peinture nouvelle. Elle a sa place dans l’histoire de l’art, aux côtés de celle de Picasso, Rouault, Soutine comme a su le percevoir Henri Bing, dès 1928 !